Hexi, 220 x 220 cm, wood and strap

Slice, 40 x 50 x 65 cm, granit and strap

Statik 10, variable size, rope and carabiner

Statik 10, variable size, rope and carabiner

Acinonyx

Acinonyx est le nom scientifique du guépard. Il est le seul félin à posséder des griffes non rétractiles, ce qui correspond bien à son image d’animal terrestre le plus rapide du monde. Chose curieuse, il semble qu’un jardin situé à la Schützenstrasse 14, dans le quartier paisible de Liebefeld, aurait hébergé quelques guépards il n’y a pas si longtemps Depuis, il ne reste plus que quelques traces d’un enclos : des barreaux et une porte grillagée. Cette anecdote constitue un repère important dans le processus de travail in situ de l’artiste lausannois Simon Deppierraz (*1984). Force et dynamisme, enfermement et domptage sont des qualificatifs qui se rapportent également à son travail.
Dans la salle, une corde bleue traverse l’espace, tendue d’un côté à l’autre. Les segments s’entrecroisent et dessinent un motif en forme de réseau. Plein d’énergie, le dessin dynamise notre perception. La structure apparaît comme un mouvement dans l’espace. La place prépondérante occupée par la corde empêche cependant les visiteurs de traverser la salle ; la corde structure leur comportement et exclut de facto.
Il en va autrement pour l’hexagone, construit avec des lattes de bois et des sangles. Ce qui apparaît comme une forme de cristal ou de molécule organique est en réalité un risque statique. C’est uniquement par la domination, plus précisément la maîtrise de la force d’attraction terrestre, que la stabilité peut être atteinte à l’aide des sangles : celles-ci plaquent en effet les planches de bois les unes aux autres, la contruction se stabilisant ainsi d’elle-même.
Dans le même temps, ces oeuvres possèdent quelque chose de fondamentalement artisanal. Deppierraz utilise effectivement des matériaux fabriqués de manière industrielle et  standardisés, mais ses oeuvres ne sont définitivement pas le produit du minimal art. À la différence de ces sculptures pures, réduites et fabriquées industriellement, le processus de production, c’est-à-dire l’acte de création, est inscrit dans les travaux de Deppierraz et reste visible en tant que trace : l’artiste a noué ensemble deux cordes à un endroit-clé, de même qu’il a scié et arrangé les morceaux de bois afin qu’ils s’assemblent mieux. A cet égard, ses travaux ne sont pas à appréhender par le biais de la notion de sculpture mais davantage par celle d’intervention. La corde et l’hexagone doivent être compris comme des événements éphémères : le reste de la corde s’amoncelle sur le sol, comme si son resserrage allait se poursuivre bientôt, et l’hexagone est présenté sur des baguettes en bois, comme dans un entrepôt.
Davantage que des oeuvres finies, ce qui importe ici est le processus et les principes du travail artistique. Des principes qui remettent en question les perceptions habituelles, s’intéressent  aux moments fragiles et précaires des constructions et risquent constamment l’effondrement.
L’intervention concrète prend ainsi le statut d’une expérience. Une idée d’abord formulée sous la forme d’une esquisse sur papier doit ensuite être traduite au cours du processus dans la réalité et éprouver les possibilités physiques et matérielles ; un transfert dont le succès n’est jamais garanti et pour lequel l’échec toujours possible. Pour Deppierraz, le travail artistique est à cet égard semblable à l’acte de se confronter à la nature. Une intervention sculpturale, c’est comme escalader une montagne : on est livré aux conditions naturelles et on sait jamais si on atteindra le sommet.

Gabriel Flückiger